Cours 8. Le patrimoine institutionnel de l’espace ksourien IV. La Djémaa

Université de Béchar
Master I. Préservation du cadre patrimonial bati au Sahara

Histoire de la consevation I
Enseignant Abdelmalek Houcine

Cours 8. Le patrimoine institutionnel de l’espace ksourien
IV. La Djémaa
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Plan

  • Introduction.
  • Une organisation socio-spatiale par quartiers.
  • Conclusion

Bibliographie.

  • Diego de HAËDO, Topographie et Histoire générale d'Alger, trad. de l'espagnol par Dr. Monnereau et A. Berbrugger, Editions Bouchène, 1998.
  • Francesco Della Casa est le rédacteur en chef de la revue Tracés. Curateur de Lausanne Jardins en  2004 et 2009.
  • Gérald Billard « Ville fermée, ville surveillée. La sécurisation des espaces résidentiels en France et en Amérique du Nord », Presses Universitaires de Rennes, 2005.
  • el-Maqrizi.- "Kitab Al Mawàiz wa 1-i'tibar fi dhikr al khitab wa l'âthar .- (Description topographique et historique de l’Egypte), Boulaq, 1858, 2 vol. Trad. A. Bouriant, Paris, 1900.
  • Roger Le Tourneau .- Les villes musulmane de l’Afrique du Nord. La maison des livres. Alger, 1957.
  • André Raymond. Grandes villes arabes à l’époque ottomane.- Paris, 1985 pp. 133-135.
  • Filippo PANANTI, Relation d'un séjour à Alger, 1820, rapporté par Lucette VALENSI, Le Maghreb avant la prise d'Alger (1790-1830). Paris, Flammarion, coll. « Questions d'histoire », 1969.
  • Niebuhr, Voyage en Arabie (Amsterdam 1776), I, p.88. Description, Etat moderne, II-2.
  • Denis Grandet.- Quatre Djemaa des ksours du sud-ouest algérien, USTO, 1985.
  • Jacques Berque, structure sociale du Haut Atlas, PUF, Paris, 1995, p.383.
  • A. Hennia et B. Tlili, l’organisation des pouvoirs des notables dans les communautés des Djérid tunisien au XVIII e siècle in cahiers de la méditerranée, numéro spécial, université de Nice, 1980.
  • Isabelle Eberhardt, récit de voyage vers 1900 Chap. théocratie saharienne, page 31.
  • Arpaillange Christophe, « Small is beautiful » : Le quartier est-il aujourd'hui le lieu d'une refondation de la culture et de la pratique démocratiques ? Démocratie locale et management, Actes des 4èmes rencontrent ville-management, Dalloz, 2003.

1. Introduction.

Cette section nous révèle l’influence du mode d’aménagement initié par le Prophète à Médine sur l’organisation spatiale de la cité islamique surtout celles qui étaient construites dans les premières périodes de l’Islam. Un mode d’aménagement basé sur la distribution d’un Iqta’ ( الإقطاع ) (grande parcelle de terrain) à chaque groupe ethnique ou religieux. L’autonomie de gestion interne de chaque quartier est consacrée par une charte rédigée par les soins du Prophète. Ce mode d’aménagement ne préconise pas seulement une concertation et participation de la population dans l’édification de son cadre de vie, mais il offre l’autonomie pure et simple à chaque groupe ethnique ou religieux de décider et réaliser les espaces nécessaires et adéquats à leurs pratiques sociales. Le quartier se construit alors par négociation entre proches. Son développement graduel cristallise spatialement le développement progressif du groupe social. Cette démarche naturelle et organique trouve actuellement un écho favorable dans l’urbanisme dit écologique ou durable. Ce mode d’aménagement facilite énormément la gestion urbaine de la cité islamique. Chaque quartier est géré par une assemblée ou djemaa qui coordonne ses actions avec l’ensemble des autres assemblées de quartiers de la cité. Les troubles internes sont réglées à l’intérieur de chaque quartier. Même le Cadi doit se conformer aux prescriptions de la charia et aux coutumes du groupe social pour se prononcer sur un litige bien précis entre membres d’un même groupe social. Illustrons cette gestion très proche des citoyens par des exemples concrets.

2. Une organisation socio-spatiale par quartiers.

La cité islamique est organisée selon un ensemble de quartiers abritant chacun un groupe humain caractérisé par une homogénéité sociale basée sur le sang, activités professionnelles ou la confession religieuse. Le nombre de quartiers dans une cité annonce autant de groupes sociaux composant la population de la cité. Ce n’est pas par hasard que la description du Caire par el-Maqrizi suit la méthode de description par quartier ou khitta.
L’ouvrage même de cet historien du XIVe est habituellement connu sous le nom d’el-khitat el-maqrizia au lieu de son nom initial.

1. La Casbah d’Alger

Evoquons un passage du récit du voyageur Filippo Pananti décrivant l’organisation sociale des tribus musulmanes dans la régence d'Alger au début du XIXe siècle. La population urbaine était organisée sous forme de plusieurs communautés ayant chacune un chef nommé cheikh.
« (...) Chaque tribu peut être considérée comme une nation ; …. elles ont un chef. Cet officier se somme Sheikh, qui veut dire ancien. En général on le choisit parmi les plus vieux de la tribu ; et le plus distingué pour la maturité du jugement et la pratique de la vertu est celui que les Arabes jugent dignes de les commander (...). Le gouvernement n'est à proprement parler ni électif ni héréditaire ; il y a quelques familles qui gouvernent depuis des siècles ; mais elles le doivent à leur administration paternelle et à ce plaisir que nous éprouvons tous à obéir à ceux qui cherchent à nous rendre heureux. On voit en général le fils succéder au père ; cependant ce mode d'arriver au pouvoir n'est pas assuré par un droit positif ; l'élection et l'approbation du peuple autorisent seules à prendre les rênes du gouvernement (...). Si le Scheik maltraite ses sujets, ou n'est pas fidèle aux principes qui l'ont fait appeler au gouvernement, on ne forme point de complot contre sa personne ; on ne trame aucune révolution. Le Scheik est tranquillement délaissé par toute la tribu ; elle va se joindre à une autre dont le chef reçoit à bras ouvert cette nouvelle acquisition (...). Dans les affaires d'importance, le Sheikh se fait un point capital de consulter les chefs de chaque tente ou famille, et il montre la plus grande déférence pour leurs opinions. (...) ».. 

2. Le Caire

Plus que les corporations de métiers dont les préoccupations restaient surtout professionnelles et dont la zone d’activité ne couvrait qu’une partie de la ville du Caire, la cellule de base de la vie urbaine paraît avait été le quartier désigné par khitta à l’époque des Califes et hara à l’époque des fatimides.
Les quartiers du Caire, écrit Niebuhr « sont composés d’un grand nombre de petites rues, mais qui toutes n’ont qu’une seule issue, par où elles aboutissent à quelque unes des rues principales ». Le quartier constituait donc un ensemble fermé desservi par un réseau hiérarchisé d’artères, impasses débouchant dans les ruelles (atfa), aboutissant à leur tour dans la rue centrale du quartier (darb) qui lui donnait souvent son nom, et qui finalement communiquait avec la grande rue (chari’), souvent par l‘intermédiaire d’une porte. Il n’y avait généralement pas de boutiques dans la hara, si ce n’est auprès de la porte d’entrée.
« Les quartiers servent communément de demeures à des artisans et d’autres habitants pauvres qui travaillent non dans leurs propres maisons mais dans de petites boutiques au souk ou le long des rues marchandes » écrit encore Niebuhr.
Chacune de ces unités séparées abritait habituellement un groupe humain relativement homogène, ouvriers exerçant le même métier, gens originaires du même pays ou professant la même religion. D’après A. Raymond, il y avait 63 hara au Caire ottoman. Les quartiers comportaient habituellement des portes situées à l’entrée de la rue donnant accès à la Hara.
Ces portes étaient gardées par des Bawwabs. Elles n’étaient pas réellement destinées à jouer un rôle défensif en temps de guerre, mais plutôt à assurer la sécurité nocturne, en empêchant la circulation des éventuels voleurs. Dès que la nuit tombe, les portes des quartiers se ferment.
Elles s’ouvraient qu’aux personnes résidants dans le quartier ou rendant visite à des personnes connues, moyennant une modeste rétribution versée au bawwab. Ce système permettait aux autorités de contrôler les déplacements des individus suspects.
C’est l’objectif même recherché actuellement dans le recours des gated communities dont le nombre augmente d’une manière spectaculaire à Los Angeles.
Le cloisonnement de la cité islamique était très utile en cas de troubles : au premier signe d’émeute populaire, les quartiers se fermaient, ce qui avait le double avantage d’assurer la protection des habitants et de gêner les activités des fauteurs de désordre. Si les Français, au moment de l’occupation de l’Egypte, entreprirent d’enlever les portes des rues et des quartiers du Caire, c’est pour des raisons militaires stratégiques. Ces hara étaient placées sous l’autorité de cheikh (cheikh el-hara) qu’assistait un ou plusieurs naqib. Cette structure est identique à celle des corporations de métiers. Les deux organisations fondées l’une sur le métier, l’autre sur la résidence, se complètent. Le cheikh de la hara peut parfois même être le cheikh de la corporation dominante du quartier.
Toutes les communautés ethniques et religieuses étaient organisées comme des entités quasi administratives placées sous la direction de cheikhs qui, dans le cas des minorités confessionnelles, pouvaient être leur chef religieux eux-mêmes. Il s’agissait donc d’une organisation parallèle à celle des corporations de métiers et qui dans certains cas la recoupait, puisque certaines ethnies ou communautés étaient spécialisées dans une activité déterminée : la corporation de métier était alors l’aspect professionnel d’une structure qui avait aussi un aspect ethnique ou confessionnel.
Ce type d’organisation était si universel et si constant, d’une ville à l’autre, qu’on peut se contenter de mentionner ici le cas d’Alger à titre d’exemple. La ville comptait avant 1830, six corporations de barraniya (gens du dehors), qui venaient de l’intérieur du pays pour y travailler temporairement : gens du M’zab, de Biskra, de Djijel, de Laghouat, de la tribu des Mzita. Chacun de ces groupes avait un chef qui était reconnu par le gouvernement et qui servait d’intermédiaire entre la communauté et les autorités. Les Amin étaient chargés de la police dans leur communauté, qui était responsables collectivement de tout délit commis par l’un de ses membres. Dans leur action répressive, les Amin s’inspiraient de la coutume, et consultaient les notables de la communauté. Le gouvernement n’intervenait que rarement dans ses affaires.
Les communautés chrétiennes et juives avaient une organisation tout à fait similaire. Les juifs de Tunis habitaient un quartier (hara) et étaient gouvernés à l’époque ottomane, comme à l’époque médiéval par un conseil de notables, qui gérait les fonds de la communauté, veillaient à l’entretien des synagogues, répartissaient les subsides entre les pauvres et les malades, sous l’autorité d’un cheikh qui s’occupait du maintien de l’ordre et de la levée des impôts et qui assurait la liaison entre l’Etat et la communauté. Un officier de la marine russe faisait escale à Tunis à la fin du XVIIIe siècle, écrivait :
« On peut dire que les moines mahométans ne montrent pas autant d’animosité (haine) que ceux d’Europe à l’égard de ceux qui professent une autre religion : la preuve en est que les chrétiens et israélites qui vivent ici peuvent s’administrer librement selon leur propre loi ».
Pour mieux cibler ses actions, le gouverneur de la ville fait appel aux chefs de quartiers (mouqaddim el-Hawma). Le Mohtasib lui, fait appel aux chefs de corporation, appelés « Amin » au Maghreb. Ces personnages font véritablement office de charnière entre les représentent de l’autorité et le groupe qu’ils représentent. Les uns et les autres offrent cette particularité d’être nommés par le gouvernement, mais sur présentation des habitants d’un quartier ou des membres d’une corporation. Le chef de quartier n’est pas désigné au suffrage universel par tous les habitants de son quartier, pas plus que le chef de la corporation n’est présenté par tous les membres de sa corporation ; dans l’un et l’autre cas il est l’homme des notables (el-a’yyan) les patrons de la corporation et les personnages du quartier. Ainsi le chef de corporation et chef de quartier dépendent à la fois du gouvernement qui les nomme et peut les révoquer, et des notables qui les présentent et peuvent les désavouer. « Ce système a bien fonctionné pendant des siècles en donnant de bons résultats. » atteste Roger le Tourneau.
Pour les ksour nous évoquons les travaux de Denis Grandet qui a étudié quatre Djemââ des ksour du sud-ouest algérien situés à Béni-Ounif, Taghit, Béni-Abès et Timimoun.
Jouissant d’une autonomie relative par rapport au pouvoir central, chaque ksar dispose d’une assemblée de notables nommée Djemââ établie à coté de la place publique. Chaque djemaa gère les intérêts communautaires dont les compétences étaient larges.
« La compétence de la djemââ s’étendait non seulement à la gestion temporelle, non seulement au statut des personnes et des biens, à toute la matière du droit privé et public, mais encore à la gestion du sacré ».
Dans les régions du Sud elles s’occupent en particulier de l’organisation du partage de l’eau, fondement du système des cultures dans la palmeraie. Même lorsque le pouvoir central est puissant, son représentant est contraint de passer par la Djemaa sur le plan fiscal, entre autre pour fixer les évaluations d’imposition.
Lisons ce passage du Récit de voyage d’Isabelle Eberhardt:
« C’est la Djemaa, assemblée des fractions et des ksour qui est souveraine. Toutes les questions politiques et administratives ont soumises aux délibérations de la Djemaa. A-t-on besoin d’un chef? C’est le djemaa qui le nomme. Tant qu’il conserve son investiture, ce chef est obéit, mais il reste toujours responsable vis-à-vis de ceux qui l’ont choisi… A Kénadsa, c’est le chef de la Zawiya qui est le seul seigneur héréditaire du ksar. C’est lui qui tranche toutes les questions et qui, en cas de guerre, nomme les chefs militaires. C’est lui qui rend la justice criminelle, tandis que les affaires civiles sont jugées par le Cadi. Mais là encore le Marabout est la dernière instance et c’est à lui qu’on en appelle des jugements du Cadi. Sidi M’hamed ben Bouziane, le fondateur de la confrérie, voulu faire de ses disciples une association pacifique et hospitalière. La zawiya jouit du droit d’asile : tout criminel qui s’est réfugié se trouve à l’abri de la justice humaine. Si c’est voleur, le Marabout lui fait rendre le bien volé. Si c’est un assassin, il doit verser le prix du sang. A ces conditions, les coupables n’en courent aucun châtiment, dès qu’ils sont entrés dans l’enceinte de la zawiya ou même un terrain lui appartenant. La peine de mort n’est appliquée par le Marabout. S’il arrive qu’un criminel soit mis à mort, c’est par les parents de la victime ou quelque fois même par les siens, jamais sur condamnation des Marabouts.
« ….Grace à la zawiya la misère est inconnue à Kénadsa. Pas des mendiants dans les rues du ksar ; tous les malheureux vont se réfugier dans l’ombre amie et ils y vivent autant que cela leur plait. La plupart se rendent utiles comme serviteurs, ouvriers ou bergers, mais personnes n’est astreint à travailler. Personne n’ose élever la voix et critiquer les actes du maître. On s’incline, on répète les opinions de sidi Brahim. »

3. Conclusion.

La cité islamique est incontestablement organisée sous forme d’un ensemble de quartiers abritant chacun un groupe sociale homogénéisé par le sang, ou par l’exercice d’une même activité professionnelle ou par la même confession religieuse. Tous les travaux des historiens de l’art, architectes ou encore les récits des voyagistes attestent la présence de cette organisation socio-spatiale qui s’est propagée à travers tout le monde musulman malgré la considérable étendue géographique et la diversité sociale des contrées islamisées. Nous avons remarqué la présence des djemaa de quartier aussi bien dans les médinas que les ksour.
En revanche, les attributions de ces assemblées de notables ne comportaient guère une ingérence dans les pratiques spatiales dans les quartiers. Le Mohtasib avait son mot à dire sur les voies indivises entre les membres de chaque communauté. L’autorité représentée par le Cadi n’intervient dans les questions relevant du bâti que s’il y a contestation de la part des habitants en l’occurrence des voisins. Tout laisse supposer que les gens construisaient leurs demeures par négociation et par respect des hadiths relevant de l’espace. Il y avait non seulement une concertation ou participation, mais simplement une autonomie qui commence à se clarifier dans le geste de la construction islamique. Certes, cette approche fait atténuer dès le premier geste constructif les troubles de voisinage notamment ceux qui sont lés directement à la mitoyenneté. Dans la mesure où les gens se connaissent et partage ensemble des intérêts d’ordre confessionnel, professionnel ou ethnique.
On note par ailleurs, que l’urbanisme dit moderne favorise ce type de gestion urbaine qualifié de très proche du citoyen. « Small is beautiful », nous dit-on. L’action de proximité est présentée actuellement comme un moyen privilégié pour surmonter les contraintes qui limitent l’efficacité et la légitimité des politiques publiques, notamment en milieu urbain.
Grâce à la participation des habitants, l’action de proximité conjuguerait rationalité gestionnaire et renforcement de la démocratie. Mais en l’absence de marges de manœuvre financières et institutionnelles suffisantes laissée par le pouvoir central aux « gouvernements » locaux, et en dépit d’expérience localement réussies, les politiques dites de proximité n’ont que des effets limités sur la citoyenneté. On l’a vu à travers la prolifération des « Gated communities » dans plusieurs villes américaines notamment Los Angeles. De nouveaux concepts font leur apparition dans les discours urbains contemporains telle que « la gestion de proximité » ou encore « les régies de quartier ». Tous s'accordent, localement, pour souligner que les quartiers pourvus d’une régie de gestion sont plus propres qu'avant. La plasticité des régies tient en premier lieu à leur capacité à agréger trois dimensions fondatrices : la gestion de quartier, l'insertion socio-économique et l'implication sociale.

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