L’utilisation de la métaphore dans le processus de conception architecturale
Mémoire Séminaire AMC
Chevalier Agathe - Première Année de Master – ENSA Toulouse
Enseignants : D. Bonnal, D. Estevez, P. Lamy, J. Pouzenc - Enseignant invité : U. Seher
Juin 2008
Sommaire
- Introduction
- Partie 1 : La métaphore
- A. En linguistique
- 1. Définition
- 2. De la comparaison à la métaphore
- 3. En linguistique structurale
- 4. Degré d’originalité des métaphores
- a. La catachrèse
- b. La métaphore figée
- c. La métaphore vive
- d. La métaphore filée
- B. La conception architecturale
- 1. « Filer une métaphore »
- 2. Notion de traits sémantiques
- C. Les architectes et la métaphore : trois exemples
- 1. Le Corbusier, le mur de lumière
- 2. Bibliothèque d’Alexandrie, le pilier-papyrus
- 3. Toyo Ito, la métaphore du jardin
- Partie 2 : Du projet à la métaphore
- A. Dans le projet urbain
- 1. Une î le
- 2. Trois icebergs
- 3. Un archipel de quatre îles
- a. L’identité propre
- b. L’isolement
- c. L’accès
- d. Les limites
- B. Dans le projet architectural
- 1. L’enveloppe
- 2. Le creusement
- 3. Le parcours
- 4. Le rapport au sol
- Partie 3 : De la métaphore au projet : réponses architecturales et urbaines
- A. Dans le projet urbain
- 1. L’identité propre
- 2. L’isolement
- 3. L’accès
- 4. Les limites
- B. Dans le projet architectural
- 1. L’enveloppe
- 2. Le creusement
- 3. Le parcours
- 4. Le rapport au sol
- Conclusion
Introduction
Le système ordinaire qui nous sert à penser et à agir quotidiennement est de nature fondamentalement métaphorique.
Même si nous ne sommes pas toujours conscients des métaphores auxquelles nous nous référons, ce procédé conceptuel joue un rôle central dans la définition de notre réalité quotidienne.
Le séminaire AMC permet de mettre en place des questionnements sur la conception en architecture et pour cela l’accent est mis, entre autre, sur le raisonnement par métaphore. Après avoir exploré le rôle de la métaphore et du potentiel de la pensée métaphorique pendant les deux semaines intensives AMC puis en projet, il m’a paru intéressant de revenir, à travers ce mémoire, sur mon expérience face à cette méthode de conception.
La première partie propose de définir le terme de « métaphore » de façon théorique. Il s’agit d’abord d’explorer cette figure d’un point de vue linguistique avant de voir en quoi elle peut devenir un objet opérant dans une démarche de conception en architecture. Cette question est ensuite illustrée par trois exemples d’architectes qui utilisent la métaphore dans le processus de conception
Nous verrons ensuite, à partir de mon expérience de projet ce semestre, comment l’utilisation de la métaphore a guidé ma démarche de conception dès le départ. En effet, la deuxième partie montre comment et à quel moment elle apparaî t. Nous verrons qu’à travers son réseau sémantique d’autres interrogations apparaissent et viennent enrichir le projet.
Dans une troisième partie, il sera question du retour obligatoire de la métaphore vers le projet. Il s’agit, à partir des mots engendrés par la métaphore, de proposer de réelles réponses architecturales et urbaines (question de limite, d’accès, de forme par exemple).
Partie 1 : La métaphore
Avant d’entamer le récit de ma propre expérience, il me parait important de me proposer une définition de la métaphore. Une vingtaine de disciplines scientifiques ont pris le parti de la « théoriser » : psychanalyse, linguistique, rhétorique, philosophie, poétique, sémantique, sémiologie, stylistique, épistémologie, etc... Il s’agit donc ici, de faire ressortir de cette profusion de théories et d’approches des notions de base qui appuieront par la suite mon propos.
Après cette définition, je me suis attachée à comprendre le lien étroit qui existe entre la métaphore et l’acte de conception en architecture. En quoi la métaphore serait-elle une source de création ?
Une série d’exemples permet de comprendre, de façon chronologique, comment l’architecte-concepteur peut prendre au sérieux une image qui produit un récit, une métaphore, et quelles en sont les transformations au cours du projet.
A. En linguistique
1. Définition
En rhétorique, la métaphore est un trope puisque cette figure a pour effet de détourner un mot de son sens habituel. En effet, le mot trope veut dire changement de sens. En termes savants, cette opération s’appelle métasémème, c’est-à-dire remplacement d’un schème par un autre. Concrètement le sémème est le signifié d’un mot. Autrement dit, le trope est le remplacement d’un mot par un autre1.
Il y a métaphore lorsque, au lieu de désigner une chose par son nom propre, on la désigne par le nom d’une chose différente mais dont on affirme la ressemblance, et à laquelle on l’identifie.
Elle est considérée comme une figure de type microstructural, c’est à dire dont l’existence dans un énoncé est soumise, d’emblée à interprétation et matériellement isolable. La définition restrictive de la métaphore est « Dire l’abstrait avec un mot concret 2».
On appelle comparé (ou thème) l’élément du texte qui fait l’objet de la comparaison et comparant (ou phore) celui qui effectue la comparaison. Par exemple, dans les vers de Verlaine :
Votre âme est un paysage choisi Que vont charmant masques et bergamasques. (Paul Verlaine)
Votre âme constitue le comparé (ou thème)
Et paysage choisi le comparant (ou phore)
1. Klein-Lataud C, Précis des figures de style (Toronto, GREF, 1991), p 71
2. Molinié G, Dictionnaire de rhétorique (Le livre de poche, 1992), p 213
2. De la comparaison à la métaphore
Métaphore et comparaison ont souvent été opposées, la première étant perçue comme une vision opérant la synthèse de deux réalités, et la seconde comme un rapprochement logique maintenant l’écart entre les deux réalités comparées. La métaphore induit une correspondance inédite impossible dans la réalité.
Or, en réalité, la structure de base de la métaphore est la comparaison. Plutôt de les opposer, il semble donc plus juste de voir une gradation. Pour passer de la comparaison à la métaphore, il faut supporter plusieurs transformations successives que l’on appelle « états » : comparaison, métaphore in praesentia, métaphore in absentia 1.
- Comparaison : x est comme y (« La terre est comme une orange »)
- Métaphore in praesentia : x est y (« La terre est une orange »)
- Métaphore in absentia : y renvoie à un x implicite (« Nous vivons sur une orange »)
Etat 1 : la comparaison Cet homme est rusé comme un renard.
Le terme homme est le comparé, rusé est la qualité attribuée, comme est l’outil comparatif (nommé copule) et renard est le comparant. La « copule comparative » maintient l’existence indépendante des deux éléments correspondants à x et y.
C’est cette différence, ce glissement, ce transfert, cette modification sémantique là qui définissent exactement la comparaison-figure. On traduira donc : « cet homme est vraiment très rusé. »
1. Klein-Lataud C, op. cit, p. 73
Etat 2 : métaphore in praesentia Cet homme est un renard rusé.
L’outil comparatif a disparu. Par un moyen grammatical approprié (attribut ou complément d’objet direct), il y a assimilation du comparé au comparant. Les deux termes comparant et comparé sont encore nommés (« présents ») ainsi que la qualité, superlativement attribuée, par transfert, au comparé. On parle du comparé en l’assimilant au comparant, grâce à un prédicat dans lequel les termes on perdu leur sens propre habituel : il paraî t évidant que l’homme ne s’est pas transformé en renard.
Etat 3 : métaphore in praesentia Cet homme est un renard.
La métaphore est encore in praesentia puisqu’on a toujours la présence du comparé et du comparant. Mais la qualité attribuée n’apparaî t plus. C’est au récepteur d’interpréter la signification en faisant appel à ses connaissances propres ainsi qu’à la tradition littéraire qui attribue au renard l’idée de ruse.
Etat 4 : métaphore in absentia Nous avons à faire à un renard rusé.
On retrouve l’indication de la qualité attribuée. Mais la mention explicite du comparé a disparu, seul reste le comparant avec son sens métaphorique. Il doit donc à lui seul faire comprendre un nouveau sens par rapport au sien propre. Le récepteur doit fournir ici un effort d’interprétation plus important. La phrase ne doit en aucun cas être prise « au pied de la lettre ».
Etat 5 : métaphore in absentia Le renard nous a tous bernés.
Il s’agit là d’une métaphore in absentia absolue car la qualité attribuée n’est même plus présente. Un seul mot, le comparant, doit faire l’objet de tout un travail interprétatif, compliqué et méthodique. Elle exige donc, pour être compréhensible, uncontexte linguistique très clair puisque le comparé est à déduire du comparant.
Dans les textes suivants, seuls les titres éclairent les métaphores en formes de définition énigmatiques :
Ce billet doux plié en deux cherche une adresse de fleur. (Le papillon, Jules Renard)
Une petite main noire et poilue crispée sur des cheveux
Toute la nuit, au nom de la lune, appose ses scellés.
(L’araignée, Jules Renard)
3. En linguistique structurale
La métaphore se situe fonctionnellement sur l’axe paradigmatique (de substitution) s’opposant à cela à la métonymie qui fonctionne pour sa part selon l’axe syntagmatique (de contigüité)1. Par un phénomène de sélections de quelques traits sémiques communs, elle rapproche deux termes qui par ailleurs, sont sémantiquement disjoints. La métaphore a donc pu être considérée comme une véritable anomalie : au niveau syntaxique, elle associe des unités lexicales normalement incompatibles :
Cet homme a un cœur de pierre.
Une propriété non animée est attribuée à un nom animé.
Cet homme est un lion.
Une propriété non humaine est attribuée à un homme.
1. Pougeoise M, Dictionnaire de rhétorique (Paris, Armand Colin, 2001) p. 164
4. Degré d’originalité des métaphores
a. La Catachrèse :
Il existe dans la langue des métaphores obligatoires, des mots dont on se sert, en détournant leur sens ordinaire pour désigner une réalité pour laquelle il n’existe pas de terme approprié. Cette figure obligatoire s’appelle catachrèse.
Fontanier en dit la chose suivante : « Le mot aile ne désignait d’abord, sans doute, que cette partie du corps de l’oiseau qui lui sert à voler ; le mot bras, que cette partie du corps de l’homme qui tient à l’épaule et se termine par la main ; et le mot tête, que cette partie du corps de l’animal, qui est le siège de la cervelle et des organes de sens. Mais combien d’objets naturels ou artificiels ont des parties qui se présentent comme les ailes d’un oiseau, comme les bras d’un homme, ou comme la tête d’un animal ! Au lieu de s’occuper à créer de nouveaux noms, on a consacré à de nouveaux usages les noms d’ailes, de bras, de tête, et l’on a décidé de dire, par extension du premier : Les ailes d’un bâtiment ; les ailes d’une armée ; les ailes d’un moulin à vent, etc.… ; un bras de mer, les bras de la rivière, les bras d’un fauteuil, etc.… ; la tête d’un arbre, la tête d’un clou, d’une épingle. Autant de métaphores forcées, quoique juste et naturelles ; par conséquent autant de Catachrèses1. »
b. La métaphore figée :
Au degré de liberté suivant, on rencontre des métaphores qui sont complètement entrées dans la langue, les métaphores figées. Du type : déclarer sa flamme, cœur de pierre, santé de fer, elles ont perdu leur pouvoir figuratif. Mais ces métaphores que constituent beaucoup de proverbes se prêtent particulièrement bien au jeu de la re-sémantisation : en les réactivant, on montre qu’elles étaient mortes. Prévert a fait du réveil des métaphores un de ses jeux favoris :
On a beau avoir une santé de fer, on finit toujours par rouiller. (Jacques Prévert)
1. Fontanier P, Manuel classique pour l’étude des tropes ou éléments de la science du sens des mots, Les Figures du discours (Paris, Flammarion, 1977), p. 216
Quand quelqu’un dit : Je me tue à vous le dire ! Laissezle mourir. (Jacques Prévert)
Le temps
mène la vie dure
à ceux qui veulent le tuer.
(Jacques Prévert)
En fait, la métaphore aboutit ici à une syllepse, effet rhétorique qui permet à Prévert de redonner du sens à ces métaphores figées. En effet, une syllepse est une figure, un trope consistant à employer un mot à la fois au sens propre et au sens figuré. Dans la première métaphore par exemple, le mot fer est utilisé dans deux sens différents, de même que le mot rouiller.
c. La métaphore vive :
Cette expression a été forgée par le philosophe Paul Ricœur pour souligner le pouvoir créateur de cette figure. Pour lui,
« la métaphore est le processus rhétorique par lequel le discours libère le pouvoir que certaines fictions comportent de redécrire la réalité1. »
La métaphore exprime l’énigmatique : ce qu’elle dit ne doit pas être pris au pied de la lettre. Elle négocie l’intelligible des situations et des émotions nouvelles par rapport aux anciennes, dont elle modifie les sens tout en le préservant. La métaphore poétique permet d’aller encore plus loin en ce sens qu’elle est créatrice d’un sens nouveau. Elle permet de dépasser l’analogie pour réaliser une identification qui crée une autre réalité. Elle est donc une source permanente de création et elle contribue largement à l’enrichissement d’une langue. Gilbert Durand définit le processus métaphorique comme « l’anti-destin », puisqu’il permet d’interpréter le réel, le réinventer.
1. Paul Ricœur, La Métaphore vive (Paris, Ed. du seuil, 1975), p. 11
« La métaphore est capable d’étendre son vocabulaire, soit en fournissant un guide pour dénommer de nouveaux objets, soit en offrant pour les termes abstraits des similitudes concrètes. Par la vertu de la ressemblance, nous pouvons opérer avec de nouvelles situations ; si la métaphore, n’ajoute rien à la description du monde, du moins, elle ajoute à nos manières de sentir ; c’est la fonction poétique de la métaphore ; celle-ci repose encore sur la ressemblance, mais au niveau des sentiments : en symbolisant une situation par le moyen d’une autre, la métaphore « infuse » au cœur de la situation symbolisée les sentiments attachés à la situation qui symbolise1. »
d. La métaphore filée :
Selon les anciens professeurs de rhétorique, la métaphore porte sur un seul mot. En réalité, elle s’étend le plus souvent à plusieurs mots et peut même se développer tout au long d’une même phrase ou d’une même structure narrative ou descriptive. Il s’agit d’une séquence verbale qui « se forme par le déroulement parallèle de deux systèmes associatifs, l’un composé de mots apparentés au comparant primaire […] l’autre composé de mots semblablement apparentés au comparé primaire2. » En quelque sorte, le comparant se démultiplie. « La métaphore filée donne donc au lecteur qui la décode une impression grandissante de propriété3.»
Certains auteurs comme J. Renard se sont amusés à rédiger de brèves périphrases métaphoriques :
Canard : le pingouin de la famille.
Taupinières, la chair de poule des près.
Le soleil, roi des chrysanthèmes
1. Ricœur P, op. cit, p. 241
2. Riffaterre M, La métaphore filée dans la poésie surréaliste, Langue française, n°3, (sept 1969), p. 48
3. Riffaterre M, op. cit, p. 50
B. La métaphore dans la conception en architecture
1. « Filer une métaphore »
La métaphore n'est pas un phénomène essentiellement linguistique. C’est un processus de production de sens qui peut apparaî tre indépendamment du média utilisé. « Dans cette optique, la métaphore en langue ne fait que refléter un processus cognitif générique1 ».
« En matière de conception architecturale, le travail métaphorique peut donner lieu à cette exploration en profondeur, sorte de prise au sérieux de l'image, qui produit alors du récit, de la narration, du scénario possible, tout un travail d'anticipation qui est le propre du projet d'architecture.
On peut ainsi considérer le travail de conception comme une activité consistant à faire progresser un récit, à "filer une métaphore", à faire évoluer une fiction2». La métaphore est donc une source permanente de création et elle contribue largement à l’enrichissement d’un projet architectural.
On peut assimiler la métaphore de départ à une représentationsource. L’architecte doit convertir la représentation-source d’origine en une représentation-but satisfaisant à toutes les exigences architecturales. Le travail de conception est donc de procéder à la transformation d’une représentation (métaphore) jusqu’à ce qu’elle satisfasse aux exigences fonctionnelles, économiques, techniques… Dès que l’architecte inscrit cette représentation de départ dans un processus de conception, elle se développe sous une forme métrique et géométrique. « Un édifice se prête d’autant mieux à des inférences conformes à la pensée du concepteur que la représentation-source est stable tout au long du projet3».
1. Ferrari S. (1997, 14)
2. Estevez D. La métaphore (AMC/ MPPA 17 mars 2005)
3. Raynaud D, Cinq essais sur l’architecture, Etude sur la conception de projets de l’atelier Zô, Scarpa, Le Corbusier, Pei (L’Harmattan,2002) p. 142
2. Notion de trait sémantique
La représentation-source ne s’altère jamais au point d’être totalement méconnaissable après transformation. Il existe donc des mécanismes de stabilisation de la représentation.
Le terme de « traits sémantiques figuratifs » (Denis, 1989) peut être employé pour expliquer la stabilisation des représentations. L’auteur les définit sur l’exemple de l’aigle : « Ces traits, comme [a un bec], [a des serres], [est brun], sont caractérisés comme des traits sémantiques figuratifs, dans la mesure où ils se réfèrent à tel ou tel aspect de l’apparence physique de l’objet mentionné ».
L’architecte en train de concevoir sélectionne des traits sémantiques qui lui paraissent pertinents pour le projet. Des traits apparaissent comme plus fondamentaux que les autres et résistent à la transformation de la représentation-source. Il faut admettre à la fois que certains traits seront préservés et que d’autres seront modifiés. En effet, doit répondre à des pertinences fonctionnelles, économiques, techniques, etc. « Si l’on veut expliquer la stabilité d’un modèle architectural, le problème qui se pose est de savoir distinguer les traits sémantiques qui restent de ceux qui disparaissent1». Raynaud parle de « trait pertinent » pour les traits figuratifs qui résistent le mieux à la transformation de la représentationsource.
Dans la mesure où une représentation-source est sujette à un à un phénomène de stabilisation, on peut l’assimiler à un modèle. Le modèle n’est pas donné ; pour le concepteur, il est constitué de traits sémantiques qui sont le plus souvent en architecture des schèmes.
1. Raynaud D, op cit, p. 14
C. Les architectes et la métaphore, trois exemples
1. Le Corbusier, le mur de lumière
La chapelle Notre-Dame-du-Haut à Ronchamp, conçue et construite par Le Corbusier entre 1950 et 1956 fournit un cas d’étude exemplaire en ce qui concerne l’utilisation de la métaphore. De nombreux discours ont été tenus sur cette chapelle et des interprétations multiples sont possibles. Charles Jencks en 1977 la compare d’abord à un fromage suisse, en raison des petits percements irréguliers du mur de lumière.
Selon une autre interprétation, l’édifice figurerait des « mains jointes en forme de prière ». Une autre image, appartenant au même champ sémantique, parle de Ronchamp comme « d’une religieuse, coiffée d’une cornette ».
Mais c’est le chapelain de Notre-Dame-du-Haut, l’abbé BolleReddat, qui offre un témoignage de première main. En effet, il a eu le privilège de suivre la construction et la conception de Ronchamp. Avec son témoignage, d’autres représentations métaphoriques apparaissent à l’endroit du mur percé de petites ouvertures : « La lueur embrasse la fenêtre de la Vierge et les petites fenêtres qui font autour d’elle une constellation » (1987 : 203). Le Corbusier envisageait donc avec Ronchamp une transcription architecturale de la « Voie lactée ». Une des premières esquisses montre que les petits percements furent pensés au départ sous forme d’ouvertures circulaires ponctuelles, constellant la totalité du mur du mur Sud (photo a).
C’est donc une preuve que la Voie Lactée est une représentation-source du mur de lumière qui va se transformer au cours du projet.
Dans l’ordre chronologique, Le Corbusier a successivement dessiné :
- des jours circulaires répartis aléatoirement, de manière à figurer les étoiles de la Voie Lactée ;
- des trous polygonaux disposés selon le même modèle ;
- des baies rectangulaires à embrasure variable et dont la répartition a été régularisée.
Première esquisse pour le mur de lumière |
Première maquette en plâtre de Ronchamp |
Elévation intérieure et coupe sur le mur de lumière |
Ce long mouvement de transformation (trois ans) obéit, en fait, à des pertinences architecturales. Une échelle technique influe par exemple sur la position des ouvertures qui sont calées dans les compartiments d’une structure sous-jacente poteaupoutre. Une échelle géométrique joue dans l’adoption de percements réguliers et orthogonaux. Ils obéissent aux mesures définies par les séries rouge et bleue du Modulor. Enfin, le dessin de l’embrasure, qui altère la forme des ouvertures, obéit à une échelle optique. En effet, le choix de l’angle détermine une zone plus ou moins intensément éclairée. Ces trois échelles expliquent très bien les transformations affectant le mur Sud de la chapelle de Ronchamp, de 1951 à 1954.
Vues extérieur et intérieure le mur de lumière construit |
2. Bibliothèque d’Alexandrie, le pilier-papyrus
Le projet de Jean Ciccariello pour le concours de la Bibliotheca Alexandrina permet, grâce à une série d’esquisses complète, de comprendre comment les représentations-sources sont transformées au cours du projet.
L’intention initiale était de retranscrire certaines représentations issues de la Haute-Egypte, de manière à contextualiser la proposition architecturale. Ici, nous nous intéresserons au système de couvrement de la salle d’étude de la bibliothèque (Hall Callimaque). L’idée définitive adoptée en juin 1989 (J+52, les documents étant comptés à partir du 16 avril 1989 : J=0) sous le nom de « piliers-papyrus » renvoie à une longue série d’esquisses.
Dès le premier jour, on note la présence de deux brouillons révélant le démarrage de l’incubation sur une thématique végétale (photo a). À J+11, c’est un croquis du papyrus comme symbole égyptien qui apparaî t (photo b).
La transformation du pavillon à base circulaire (les feuilles d’un papyrus se déploient en cercle) en pavillon à base carrée (J+11), obéit à une échelle de voisinage. La continuité du plancher supérieur imposait en effet que le dessin du pilier-papyrus soit compatible avec une solution de pavage du plan.
La nervuration des fûts (J+12, photo c) et le croisement à cru des nervures au tiers supérieur du pavillon (J+39) altèrent la représentation-source en fonction d’une échelle économique. En effet, la nervuration du fût et du pavillon a pour conséquence qu’à résistance comparable, il y a moins de matière à couler donc moins d’argent à dépenser.
L’affinement de cette solution (J+42, photo d, e, f) par l’étude d’une forme de coffrage dont la surface serait développable et régulière provient, quant à elle, d’une application de l’échelle géométrique.
Il est bon de noter que l’altération de la représentation-source en fonction de ces différentes échelles conserve plusieurs traits de lisibilité du modèle. On continue de percevoir une continuité entre le papyrus, comme végétal, et le papyrus, comme type de recouvrement d’un espace.
a. réflexion sur un système automatisé de transport |
b. croquis du pilier-papyrus comme symbole égyptien |
c. modulation de l’ouverture du pilier papyrus |
d. développement et pliage du pavillon du pilier-papyrus |
e. dimensionnement des modules générateurs du coffrage |
3. Toyo Ito : la métaphore du jardin
L'utilisation de la métaphore est une caractéristique récurrente chez Toyo Ito. Elle sert d'outil à l'imagination mentale. Pour Ito, "l'architecture qui reflète seulement la réalité n'est pas ce que j'appelle architecture". Mais il est conscient qu'un bâtiment ne peut "qu'être un modèle imparfait, c'est-à-dire une approximation des idées qui l'ont engendré".
Par exemple, définissant le rapport entre l'architecture et la ville, il utilise la métaphore de la rivière et dit : "Lorsque l'on regarde un fleuve, on s'aperçoit qu'il est traversé par des courants contraires, qui n'ont pas la force de s'opposer à lui, mais qui sont là. Cela génère des tourbillons, c'est-à-dire des zones à la fois distinctes et mobiles qui se déplacent dans le sens du fleuve sans cesser d'être elles-mêmes. La ville est la matière même de la rivière. L'architecture consiste alors peut- être à créer des tourbillons, éphémères, qui n'ont de forme que par leur mouvement".
L'œuvre de Toyo Ito peut se diviser en trois périodes. La première période concerne l'architecture domestique dans laquelle Toyo Ito développe la métaphore du "Jardin de Lumière" , illustrée par la White U ; la seconde, intitulée le "Jardin des Vents" sera marquée par la Silver Hut ; la troisième, qu'Ito nomme le "Jardin des Puces Electroniques", trouvera sa source dans la Tour des Vents de Yokohama. Dans "L'architecture en questions", il explique sa conception de la métaphore du jardin : "Au lieu de scènes clairement articulées comme les espaces d'un bâtiment, j'essaie de créer des scènes qui glissent l'une vers l'autre. Cet espace est proche d'un environnement de sons".
Cette façon d’aborder les problèmes architecturaux nous aide à percevoir une certaine dimension de l’architecture qui peut guider une démarche de conception mais aussi l’étoffer et la complexifier pour l’amener finalement à trouver les réponses les plus appropriées.
White U – Jardin de lumière |
Silver Hut – Jardin des vents |
Tour des vents – Jardin des puces électroniques |
Partie 2 : Du projet à la métaphore
Après avoir établi une définition de la métaphore et donné des exemples concrets de son utilisation par les architectes, je vais à présent faire le récit de ma propre expérience de conception dans l’enseignement de projet ce semestre.
Le séminaire AMC permet de mettre en place des questionnements sur la conception en architecture et pour cela l’accent est mis, entre autre, sur le raisonnement par analogie et métaphore. Cet outil a été particulièrement mis en valeur durant les deux semaines intensives. Tout est mis en place pour favoriser le développement de fictions perceptives propres à interroger l’étrangeté de l’expression « Utopie pour des réserves limites » : thème de travail énigmatique, pas d’indication sur le site, le contexte d’étude (c’est seulement lors de la deuxième semaine intensive que nous avons travaillé sur un site existant), et pas de déterminations programmatiques. Nous avons appris à faire comme si, nous nous sommes prêtés à des interprétations analogiques et les résultats ont été très intéressants.
Ayant Uli Seher pour enseignant de projet ce semestre (également enseignant invité du séminaire AMC), il m’a paru intéressant d’expérimenter les découvertes réalisées en AMC dans le cadre du projet.
L’objectif de cet enseignement était de réaliser un équipement culturel : une Salle de Musique Actuelle (SMAC) en bord du réseau ferré de la gare de marchandises Raynal à Toulouse. Un des enjeu était d’aborder la problématique de l’articulation du projet architectural avec l’échelle urbaine. Le projet de SMAC a été réalisé individuellement alors que le projet urbain c’est fait à cinq. Dans cette partie, nous allons voir comment l’utilisation de la métaphore a guidé ma démarche de conception dès le départ et en quoi elle permet de faire surgir des faits non-conscients, elle sélectionne, elle focalise, elle schématise. « La figuration vise à faire voir, la métaphore donne pour sa part à voir comme1».
A. Dans le projet urbain
1. Une î le
Le premier travail d’analyse a consisté pour nous en un parcours longitudinal du site à pied. A travers notre marche, nous délimitions deux zones. A l’est, le trafic ferroviaire était très important et le site dégageait une certaine poésie industrielle qu’il était indispensable de garder. À l’ouest, sur notre gauche, un territoire différent se dessinait. Composé de bâtiment comme la SERNAM ou la halle Calberson, ce site paraissait moins occupé et propice à une appropriation. C’est ainsi que la métaphore de l’î le, comme un espace d’une autre nature que nous venions de découvrir comme des explorateurs, est venue guider notre démarche de conception. Nous allions faire de cette partie du site une « île culturelle ».
Découverte du site à pied |
ÎLE, subst. fém.
A. • Étendue de terre entièrement entourée d'eau, émergeant dans un océan, une mer, un lac ou un cours d'eau.
- Milieu social et géographique organisé économiquement et administrativement sur le territoire d'une î le; vie, habitudes sociales et culturelles d'une communauté vivant dans une î le.
B. P. anal. - Lieu, espace délimité permettant l'isolement, et pouvant servir de refuge.
- Matière, objet, élément délimité dans un espace, un ensemble d'une autre nature.
- Lieu favorable dans un milieu hostile
C. Au fig. ou p. métaph. - Lieu abstrait où s'exerce l'influence d'une pensée, d'un sentiment.
- Lieu imaginaire, paradisiaque
Réseau sémantique :
Limites, bord, rivage, plage, côte, contour, falaise, lagon, atoll, récif
Accéder, aborder, accoster, ancrer, accrocher, échouer, pont, passerelle, jetée, port, embarcadère
Sable, eau, mer, fleuve, nappe
Mystère, conquête, exploration, naufrage, découverte, voyage
Refuge, isolement, entité, unité, identité
Epave, débris, ruine, décombres, vestiges
2. Trois icebergs
Une deuxième analyse, moins sensible que la première, nous a permis de déterminer trois nœuds, trois particularités identifiables dans ce vaste territoire d’étude. Notre volonté a donc été de les faire évoluer, les valoriser pour qu’ils deviennent trois pôles attractifs. Il fallait donner du sens à des espaces résiduels, flottant au milieu des rails. La métaphore de l’iceberg nous a alors paru intéressante à développer.
ICEBERG, subst. masc.
bloc de glace d'eau douce dérivant sur la mer ; de tels blocs, souvent de masse considérable, se détachent du front des glaciers polaires ou d'une barrière de glace flottante.
La masse volumique de la glace d'eau pure étant d'environ de 920 kg/m³ et celle de l'eau de mer d'environ 1 025 kg/m³, 90 % du volume d'un iceberg est situé sous la surface de l'eau, et il est difficile de déterminer la forme qu'adopte cette partie à partir de celle qui flotte au-dessus de la mer.
Généralement la partie émergée d'un iceberg représente environ 1/8 de sa hauteur totale. Par exemple un iceberg dont la partie s'élève à 70 mètres de hauteur aura une hauteur totale d'environ 500- 600 mètres.
Réseau sémantique :
Dessous, invisible, sous-marin, immergé, caché
Dessus, visible, apparent, émergence
Flotter, dériver, fondre
Strate, ile, bloc, isolé
Banquise, glace, eau, mer
croquis d’analyse |
3. Connexion sémantique : un archipel de quatre îles
La métaphore est lue à travers le filtre du projet. C’est pourquoi nous avons du abandonner l’image de l’iceberg, qui, en terme de programme, ne correspondait pas du tout à ce qui nous était demandé. En effet, développer une vie souterraine si importante n’était pas compatible avec les usages d’une SMAC.
Il paraissait également malvenu de creuser et vivre sous terre alors que le territoire disponible sur terre était très vaste.
Nous avons donc décidé de relier la métaphore de l’î le avec celle des icebergs. C’est par leurs caractéristiques communes qu’une connexion sémantique a pu s’opérer. Par définition, « un iceberg est une î le de glace ». Nos trois icebergs allaient devenir trois î les pour former un archipel au milieu des rails.
C’est ensuite par division de l’une d’entre elle que nous avons obtenu quatre î les. Les rails sont maintenant vus comme un flux, un liquide dans lequel viendraient baigner ces î les. Le rapport au « dessous », induit par la figure des icebergs, est maintenu de façon ponctuelle sur certaines î les.
Certains traits sémantiques de la métaphore choisie sont alors sélectionnés car ils paraissent pertinents pour le projet.
D’autres mots sont eux laissés de côté, on passe sous silence certains aspects du thème. Les traits sémantiques pertinents vont être ceux qui résistent le mieux à la transformation de la représentation-source qui va s’opérer au regard des exigences fonctionnelles, techniques, financières du projet. Voici les quatre principaux traits qui ont été retenus pour ce projet.
a. L’identité propre
Comme le dit la définition, une î le est « un ensemble d'une autre nature ».
IDENTITÉ, subst. fém
Caractère de ce qui, sous des dénominations ou des aspects divers, ne fait qu'un ou ne représente qu'une seule et même réalité (identité numérique, concrète).’î le a déjà une identité qui lui est propre puisque c’est un territoire délimité entouré d’eau. Mais on peut distinguer au sein même de cette grande famille « des îles » des catégories différentes. On peut déjà différencier trois types d’î les en fonction de leur formation : l’î le volcanique (photo a) (ce sont les laves accumulées d’un ou plusieurs volcans qui émergent, formant l'î le) ; l’î le continentale (sont ainsi appelées les î les situées sur le même plateau continental que le continent qui leur est proche) ; et l’île fluviale (qui apparait dans les deltas de fleuve et dans les larges cours d'eau. Elle se forme par le dépôt de sédiments à des points où le courant perd une partie de son intensité).
On peut également parler d’identité en fonction de la manière dont elle est occupée. On trouve par exemple l’île habitée (photo b), comme à Paris, l’Ile de la Cité sur laquelle sont implantés des logements mais aussi de nombreux monuments qui viennent renforcer son identité (Notre-Dame-de-Paris, la SainteChapelle…). L’î le privée de Caye dans les Caraïbes (photo c) n’est habité que de façon ponctuelle par son propriétaire. L’île déserte (photo d) existe aussi et garde un côté très mystérieux.
b. L’isolement
L'isolement est un terme dont l'étymologie est rattachée à « île » par l'intermédiaire de l'italien isola (qui signifie île en italien). De plus, par définition, une î le est « une matière, un objet, un élément délimité dans un espace ».
Une î le est au milieu de l’eau, que cette eau soit celle d’un cours d’eau, d’un lac ou d’une mer. Ce qui entoure l’î le est donc aussi important que le territoire lui-même car c’est lui qui garanti l’isolement.
L’isolement et la solitude sont souvent recherchés dans les îles, que ce soit volontaire ou non : l’isolement volontaire (Paul Gauguin, aux î les Marquises), l’isolement forcé (Robinson Crusoé), des établissements pénitenciers ont été installés dans des î les pour limiter les possibilités d’évasion (le bagne de Guyane dans les î les du Salut, photo b).
Le fluide qui entoure les îles |
c. L’accès
Une î le est un lieu sur lequel il est difficile de pénétrer puisque nous venons de voir qu’elle est isolée, qu’elle est « au milieu de ». Les façons d’accéder à une î le sont donc liées à ce fluide qui l’entoure. En effet, il s’agit soit de « passer dessus » en utilisant un pont, une passerelle, soit de le « traverser » à la nage, ou en bateau. Dans ce cas, la présence d’un port est indispensable. C’est là que l’on accoste, en un point donné sur le territoire de l’î le. Mais on peut également venir s’échouer sur le sable de la plage dans le cas d’une nage ou d’un petit bateau.
Sur certaines î les, les accès sont multiples, notamment pour les î les habitées des villes. L’exemple de l’î le de Nantes (photo 1) avec ces nombreux ponts le montre bien, pour que ce territoire soit relié au reste de la ville, il est indispensable de créer des liaisons par des ponts ou des passerelles. Par contre, des îles très isolées, en pleine mer par exemple comporte peu de point d’entrée. Un seul ponton peut être présent pour accoster sur l’île (photo 2). L’arrivée peut également se faire par un unique pont (photo 3).
d. Les limites
LIMITE, subst. fém.
A. • Ligne qui détermine une étendue, une chose ayant un développement spatial ; ligne qui sépare deux étendues.
Puisqu’une î le est un « lieu, espace délimité permettant l'isolement, et pouvant servir de refuge », la thématique des limites est très importante.
Cet entre-deux peut prendre des formes très différentes et détermine souvent les accès. Une î le peut être bordée de plage de sable, facilitant l’accès puisqu’elle crée un lien entre la terre et l’eau. De plus, cette limite peut être variable dans le cas ou le rythme des marées crée un recouvrement de la terre par le fluide plus ou moins important. Mais une î le peut aussi être bordée de falaises, ce qui réduit la possibilité d’accès. Un récif corallien peut également venir crée une limite tout autour de l’île.
B. Dans le projet architectural
Les trois î les ayant trouvées définitivement leur place dans cette nappe de rails, le temps est venu pour chacun d’entre nous d’implanter une SMAC (Salle de Musiques Actuelles) sur « l’î le de la culture ». Là encore, l’utilisation de la métaphore a été un élément déterminant dans le processus de conception.
De mon côté, j’ai décidé de filer la métaphore de l’î le, de la continuer et de l’étendre jusque dans mon projet architectural.
J’ai donc fait le choix de voir mon bâtiment comme un coffre aux trésors échoué sur l’î le.
Un nouveau réseau sémantique apparaît alors :
Coffre, boî te, écrin, étui, monolithe
Protéger, retenir, cacher
Bijou, trésor, argenterie, précieux
Miroiter, briller, refléter
Dépasser, apparaî tre, ouvrir, découvrir, chercher, gratter, deviner
Arrachement, creusement, scarification, incision, entaille
Là aussi, des traits sémantiques pertinents caractérisant la représentation-source (le coffre aux trésors) ont été retenus pour ce projet au regard des exigences liées aux usages, à l’acoustique, à la technique, à la sécurité incendie etc.…
1. L’enveloppe
COFFRE, subst. masc.
A.• 1. Meuble ayant la forme d'une caisse munie d'un couvercle ou, plus rarement, d'une porte et dans lequel on enferme toute sorte d'objets que l'on veut dérober aux regards.
2. Spécialement
a) Boî te où l'on range de l'argent, des bijoux... Coffre à bijoux
ÉCRIN, subst. masc.
A.• Coffret destiné à contenir un ou plusieurs objets précieux, en particulier des bijoux ou de l'argenterie.
2. Le creusement
Nous venons donc de voir que le coffre est là pour protéger ce qu’il contient. La métaphore du coffre aux trésors entraine immédiatement l’idée, de l’exploration, de la fouille, du pillage.
C’est d’abord le coffre lui-même qui peut être l’objet de la recherche. Il faut creuser à l’aide d’outils dans la terre, dans le sol afin de découvrir le coffre si précieux. L’idée de creusement peut se lire également à l’intérieur du coffre luimême. En effet, une fois le coffre trouvé, c’est la recherche des trésors qui commence. Il peut s’agir de creuser et mettre de côté au fur et à mesure des élements moins interressants (des pièces de monnaie par exemple) pour arriver finalement, après avoir fait de la place, au plus beau des trésors, un bijou, une pierre précieuse.
3. Le parcours
C’est durant tout le processus de creusement vers le but ultime : la découverte du trésor, qu’un parcours se crée. Cette recherche est rythmée par des découvertes successives, qui conduisent finalement aux bijoux précieux. De scarifications en scarifications, l’excitation se fait plus grande. La découverte d’indices, de preuves de la présence de l’objet recherché rend le parcours et permet
4. Le rapport au sol
Le coffre au trésor peut entretenir deux relations différentes avec le sol. La première idée permet de penser que le coffre lui-même se trouve dans le sol, qu’il est totalement enfoui dans la terre. Dans ce cas, c’est le sol qu’il faut creuser pour trouver le trésor. Dans un deuxième temps, on peut imaginer le coffre sur le sol mais toutes les iconographies le montre : cette boî te parait toujours « tombée du ciel » ou échouée sur le sable ; elle garde une partie sous la terre.
Partie 3 : De la métaphore au projet : réponses architecturales et urbaines
Les traits sémantiques pertinents retenus doivent maintenant subir une transformation afin de répondre au projet. Dans cette partie, il s’agit donc de reprendre de façon symétrique ces mots « offerts » par la métaphore de départ et développés au chapitre précédent. Dans le cadre du projet urbain, nous verrons qu’elles ont été nos réponses à la problématique de l’identité, de l’isolement, de l’accès et des limites. Concernant la SMAC, il était question de travailler l’enveloppe, les trésors, la notion de creusement et le rapport au sol. Pour chacun de ces thèmes, les réponses architecturales et urbaines d’autres architectes sont présentées en préambule. En effet, il s’agit aussi de se construire un réseau de références et de tirer profit de ce qui a déjà été fait.
A. Dans le projet urbain
C’est donc sur un archipel de quatre î les que notre travail a porté. Ce projet répondait totalement à nos attentes car il nous permettait de minimiser nos actions sur ce site dont le fonctionnement nous paraissait très important. En effet, le choix de favoriser la conservation des trains, et de la valoriser que nous avions eu dès le départ est devenu possible.
Notre action est ponctuelle, s’insère sans détruire et donne à voir une certaine poésie du lieu.
1. L’identité
Sur chacune des î les se développe un programme propre et une identité propre. Elle porte chacune un nom : l’île de la nature, l’î le commerciale, l’î le du souvenir, et l’î le de la SMAC. Pour renforcer cette idée d’identité propre, un bâtiment phare vient s’implanter sur chacune d’entre elles et les caractériser.
Sur l’î le de la nature, c’est une grande serre pédagogique qui vient prendre place. Dans cet écrin de nature, se trouve également de petits collectifs associés à des jardins familiaux.
L’î le du souvenir accueille un crématorium ainsi qu’un grand jardin du souvenir.
Sur l’î le du marché, la Halle SERNAM a été réhabilitée pour devenir un grand marché, alimenté en majorité par des trains de marchandises. Une partie est ainsi dédiée au stockage, l’autre à la vente. Une extension de la halle nous a permit de lier à ce marché un projet de logements étudiants. En effet, la trame de la structure existante de ce bâtiment était très propice à ce type de programme.
L’île de la SMAC est constituée uniquement de l’équipement culturel dont elle porte le nom. En effet, sur cette petite î le vient s’implanter la Salle de Musiques Actuelles.
2. L’isolement
C’est par un traitement d’une frange bâtie et d’un belvédère que l’on maitrise la progression et l’étalement de la ville et s’assurer qu’elle s’arrête avant nos î les. En effet, pour qu’elles demeurent « î les », il est nécessaire qu’elles restent entourées de rails et que le fonctionnement de la gare soit garanti.
Plan urbain |
Quatre îles, quatre bâtiments phares |
Travail sur la frange |
3. L’accès
L’agence RCR arquitectes effectue un travail très intéressant sur le thème du souterrain. Le projet pour le paillon d’entrée de l’ensemble monumental d’Ullastret en est un bon exemple.
Les bâtiments sont enterrés dans le sous-sol et la lumière descend par des vides et des puits de lumière. Même la pluie tombe dans ces espaces. Pour eux, ce souterrain doit être un sas qui doit permettre de mieux connaî tre et sentir les mondes que l’on trouvera plus haut.
Notre projet urbain propose également un travail du souterrain très important. En effet, la majorité des accès à nos î les se fait sous la terre. Que se soit pour l’île du souvenir, l’île de la SMAC et l’î le du marché, les accès piétons et voitures se font par de grands souterrains qui viennent chercher la lumière entre les rails, par de grands puits de lumière. Ces deux accès se font en parallèle mais les piétons remontent à la surface par des grandes rampes alors que les véhicules restent en souterrain pour se garer dans de grands parkings.
Le principe général a été de limiter les accès à ses î les le plus possibles, pour qu’elle grade leur caractère insulaire sans laisser de côté le rôle important des liaisons avec le tissu existant autour. Ce paradoxe a été un des enjeux de ce projet.
Une de nos volonté à été de valoriser le transport ferroviaire.
Ces î les, situées entre les rails devaient profiter du passage du train pour leur fonctionnement propre. Chacune d’entre elle utilise donc cette proximité à des fins différentes et met en jeu des échelles territoriales différentes :
- Le train qui dessert la gare du « jardin du souvenir » intervient à une échelle plus locale.
- Pour l’î le la nature, un arrêt de train, lié à la serre pédagogique, permet ici de mettre en place un « train pédagogique » qui peut se déplacer dans les villes de la région.
- L’île de la SMAC est également desservie par le train. C’est de toute la France que l’on pourra venir assister aux concerts. En effet, cet arrêt sera relié au réseau TGV et TER de la SNCF. La création d’un train festif et musical au départ de la SMAC est aussi envisageable.
- Pour l’île du marché, ce sont des trains de l’Europe entière qui peuvent venir décharger leurs marchandises.
Projet à Ullastret, RCR |
Schémas accès piétons, voitures, trains et technique |
Schéma impact du train pour les quatre îles |
4. Les limites
Comme pour les accès, le traitement de la limite est spécifique à chaque î le. Il a fallu s’adapter à la topographie du site et aux particularités de chaque î le.
- Pour l’î le verte, les limites étaient déjà clairement définies puisque ce territoire est naturelle encaissé. Il est entouré des voies de chemin de fer et se trouve en contrebas de celle-ci (environ trois mètres de différence).
- Nous avons fait le choix d’encaisser également l’î le du souvenir. De grands écrans en acier corten viennent doublés d’une masse végétale créent un filtre entre les rails et le jardin qui se veut être un lieu de recueillement, de méditation.
- L’î le du marché est surélevée de quelques mètres par rapport au niveau du sol. Un garde corps en verre permet de limiter l’accès aux voies mais garanti une vue sur l’ensemble du site.
- C’est d’abord une surélévation du sol de 1,70 mètre par rapport au niveau des rails qui permet à l’î le de la SMAC d’acquérir ce statut d’î le. Une promenade périphérique a également été mise en place tout autour de l’île. D’abord pour mettre en place un dispositif qui permet de ne pas avoir un simple garde-corps. En effet, un système d’emmarchement et de piste cyclable permet, lorsqu’on se trouve au niveau zéro de l’île d’avoir une vue complètement dégagée sur le site. Le garde-corps se situe en contrebas et est constitué de verre afin de garantir une réelle transparence.
Cette promenade donne la possibilité de faire un tour complet de l’île. Elle constitue comme d’un rivage, une plage.
Vue sur l’ilot vert montrant la différence de niveau |
Coupe sur la promenade périphérique |
B. Dans le projet architectural
Dès le départ, il semblait clair que par analogie, le bâtiment que j’étais en train de concevoir serait composé de deux entités distinctes, le « coffre », le contenant, l’enveloppe et les « trésors », le contenu, les salles de spectacles.
1. L’enveloppe
Botta nous a rendu le plein. C'est peut- être un de ses apports essentiels que d'avoir domestiqué les baies, portes et fenêtres, qui s'alignaient comme à la parade sur la surface des bâtisses, y dessinant des motifs identiques et dispersés dans une répétition régulière qui détruisait en partie la forme. Il nous a rendu le volume (...) C'est une voie nouvelle pour l'architecture. La façade cesse de n'être qu'une maigre enveloppe toute percée. La peau de l'édifice se plie, se retourne ; l'intérieur et l'extérieur sont en continuité et le parpaing, matériau unique, assure leur cohésion. Dehors il est gris, un peu rêche, dedans il est blanc et plus doux; il est à la fois coquille et écrin. L'insertion de l'intimité se fait harmonieusement dans une carcasse pourtant dure : ainsi la nacre à l'intérieur de l'huî tre ou la membrane moelleuse dans la noix1 » Chaslin François.
La question de l’enveloppe a été posée dès le départ car il fallait déterminer quel allait être ce « coffret » destiné à contenir ces objets précieux, les salles de concert.
La première esquisse proposait un enroulement pour mieux cacher. Les salles de spectacles se seraient trouvées en bout, au centre de cette figure.
Mais pour des raisons d’usages et de technique, cette option n’a pas été retenue. Il est devenu question de créer une réelle boî te, un parallélépipède de base carrée qui viendrait renfermer tous les trésors. Le choix de l'utilisation du béton blanc pour toutes les parois qui composent ce coffre permet de concentrer structure et aspect final, aboutissant à un objet d'une grande
puissance et cohérence formelle.
1. Chaslin F, Mario Botta 1978-1982 Laboratoire d'architecture (Milan, Electa Moniteur, 1984)
Plan RDC de la SMAC |
Maquettes d’étude sur l’enroulement |
2. Le creusement (les trésors)
Les architectes Aires Mateus travaillent beaucoup sur le principe de creusement, d’évidement d’un volume de base. Leur architecture est orchestrée par des vides creusés dans un volume plein. La figure géométrique de base du plan est le plus souvent un carré ou une de ces déformations. C’est ensuite par enlèvement de matière que les vides se créent et deviennent des patios, des cours, des entrée : les limites intérieur/ extérieur disparaissent et un parcours intérieur est rendu possible.
Pour ma part, les premières esquisses ne montraient pas ces trésors comme des creux dans une masse mais plutôt comme des boî tes dépassant du volume de base. Comme les bijoux, les pièces, l’or déborde du coffre, les deux salles les plus importantes étaient des entités à la peau miroitante,
La configuration du bâtiment résulte de la soustraction des espaces de représentation demandés par le programme (salle de concert, salle de spectacle et café-concert) de la masse première. Tous les trésors sont donc retirés de la masse et le vide marqué en façade. Ces vides constituent des boî tes.
3. Le parcours
De mon côté, le principe de creusement allait également devenir prétexte au parcours. La première esquisse proposait comme principe de départ de partir de l’extérieur, à la recherche des trésors aperçus, dépassant du volume de base. Comme un explorateur à la recherche de d’un trésor, il s’agissait ensuite d’effectuer un parcours intérieur, à la recherche des salles qui se révélaient peu à peu. Le volume était donc creusé par les circulations non par les salles de spectacles comme dans le projet finalement retenu.
Dans le projet définitif, l'espace restant entre les boî tes et l'enveloppe est utilisé pour établir les différentes connections et abriter les services. C’est dans cet espace qu’un parcours est mis en place. Comme dans une médina, une promenade entre les boî tes est rendue possible, on a la possibilité de monter sur les ces volumes, de les parcourir. De nombreux percements permettent de donner à voir l’intérieur des salles, des trésors.
4. Le rapport au sol
Avec la Casa da Musica à Porto, Rem Koolhaas met en place un diamant ciselé posé dans un écrin, faisant le vide autour de lui, pour mieux briller de tous ses feux. La place extérieure fonctionne comme un tapis, qui délimite la place, et qui, se soulevant en plusieurs endroits, abrite un café, l'entrée du parc de stationnement etc... Taillé à facettes, le volume décolle du sol.
Mon coffre au trésor devait être caractérisé par un fort rapport au sol. Pour cela, le creusement des volumes dans la masse de départ s’effectue également en coupe, dans le sol.
L’entrée de la SMAC se fait par un souterrain, ce qui permet de réaliser un vrai travail sur le creusement et de modelage du sol. A l’intérieur de ce bâtiment, un jeu de rampe vient accentuer l’effet de parcours mais aussi l’idée de coffre que l’on vient creuser pour venir deviner les trésors.
Conclusion
Il est donc clair que la métaphore n’est pas étrangère au langage architectural. Comme tous les transferts, les transferts analogiques transportent quelque chose d’un lieu à un autre ou d’un sujet à un autre. Le rôle de la métaphore n’est donc pas d’apporter une information supplémentaire, il est de redéfinir les règles de ce jeu. C’est en cela que son utilisation s’est avérée être très porteur pour moi, dans le cadre du projet. Septique au départ, notamment lors de la première semaine intensive, j’ai fini par comprendre quels étaient les qualités d’une telle démarche. La métaphore est une source permanente de création et a contribué largement à l’enrichissement de mon projet.
Mais il me semble aussi qu’il réside quelques difficultés dans l’usage des métaphores. Le danger du débordement en fait partie. Si la métaphore n’est pas prise comme matière première, elle doit absolument être dépassée pour s’en servir comme moyen efficace de conception mais cependant à usage temporaire. J’ai ressenti à un moment du projet que je devais me détacher de cette représentation-source qui allait « produire l’effet désastreux d’une pseudo-poésie1 ». Je pense qu’un projet seulement fondé sur une métaphore n’est pas un bon projet, il aura un charme particulier mais rétrospectivement sans valeur. L’architecte Christian Hauvette cherche par exemple « à proposer un objet juste en lequel se sont effacés la totalité des raisonnements et des métaphores qui l’ont créé 2 ».
L’architecture ne doit pas représenter quelque chose mais être quelque chose. Peter Zumthor en parle de la façon suivante : « Une bonne architecture doit accueillir l’être humain, le laisse vivre et habiter et ne pas lui faire de baratin3 ».
La question n’est donc pas celle de l’utilisation de la métaphore dans le processus de conception mais de sa lisibilité ou non dans le bâtiment construit. Une stabilité de la représentationsource est-elle alors l’unique principe à suivre
1. Hauvette C, Habitations, Palais, Machines/ Vérité, Métaphore, Récit (Ed. Jean-Michel Place, 2000) p. 152,153
2. Hauvette C, op.cit p. 152,153
3. Zumthor P, Penser l’architecture. (Birkhauser, 2006) p. 33
Bibliographie :
- Chaslin F, Mario Botta 1978-1982 Laboratoire d'architecture (Milan, Electa Moniteur, 1984)
- Estevez D, La métaphore (AMC/ MPPA, 17 mars 2005
- Hauvette C, Habitations, Palais, Machines/ Vérité, Métaphore, Récit (Ed. Jean-Michel Place, 2000)
- Klein-Lataud C, Précis des figures de style (Toronto, GREF, 1991)
- Molinié G, Dictionnaire de rhétorique (Le livre de poche, 1992)
- Pougeoise M, Dictionnaire de rhétorique (Paris, Armand Colin, 2001)
- Raynaud D, Cinq essais sur l’architecture, Etude sur la conception de projets de l’atelier Zô, Scarpa, Le Corbusier, Pei (L’Harmattan, 2002)
- Ricoeur P, La métaphore vive (Paris, Editions du Seuil, 1975)
- Zumthor P, Penser l’architecture. (Birkhauser, 2006)
Sites internet :
http:/ /coursgabrielle.free.fr/metalangage/metalangage.htm
http:/ /www.cnrtl.fr/definition
http:/ /www.etudes-litteraires.com
http:/ /www.info-metaphore.com/ index.html
http:/ /www.lexilogos.com/ francais_langue_dictionnaires.htm
http:/ /www.rcrarquitectes.es
http:/ /www.vg-architecture.be