Cours Théorie du Projet 3ème Année L.M.D - Département d’Architecture -Annaba-
CONCEPTION ARCHITECTURALE
Appréhender la conception architecturale
On cherchera dans ce cours à faire comprendre et à s'intéresser à la conception architecturale, non à l'architecture (les objets architecturaux, les édifices). Alors que chacun de nous vit et côtoie de tels objets architecturaux, il s'agit, pour l'architecte, de les concevoir. C'est là l'enjeu majeur d'une connaissance de l'architecture et, partant, de son enseignement. Cette orientation se fera par une présentation de quelques notions, encore introductives à ce stade, dont l'importance tient plus à leur valeur didactique, qu'à une valeur théorique explicative de la conception. Certaines de ces notions seront reprises pendant l’atelier. Elles feront aussi l'objet de précisions théoriques dans les cours ou introduiront ponctuellement des propositions de concepts-clé pour la connaissance de la conception architecturale.
1. La conception
On peut définir la conception comme «un processus dirigé vers un résultat qui n’existe pas encore»1: c’est une action qui correspond à une création originale de quelque chose de nouveau, comme on peut le comprendre si l'on revient au sens premier de la conception "maternelle", où la conception est le commencement d’une nouvelle existence, ou, si l'on se réfère à son sens intellectuel, pour lequel concevoir signifie saisir et maîtriser par l’esprit. La conception concerne donc toute création intellectuelle originale et elle se manifeste dans tous les domaines d’expression humaine. H. Simon2 a défini la conception en opposition à la science : la science étudie les lois de la nature et son but est d’accroître la connaissance sur la réalité, par contre la conception agit sur les artefacts humains et son but est le contrôle sur cette réalité.
Le processus de conception en anglais est défini par le verbe design, qui n’a pas de traduction directe en français. Le verbe design définit un processus créatif, qui a pour objectif la modification matérielle de l’état existant, à travers la conception d’un objet physique, qui doit répondre à un ensemble de besoins, en réponse à un ensemble de contraintes. J.C. Jones a donné une définition qui semble bien synthétiser la qualité principale du design: il s’agit d’un processus qui vise essentiellement à
«amorcer un changement dans les artefacts humains»
Design est aussi un nom, qui désigne le résultat de cette action (le projet) ainsi que l’objet réalisé.
2. La conception en architecture
Afin de bien clarifier les spécificités du processus de conception en architecture par rapport à d’autres formes de conception créative (littéraire, artistique, scientifique, etc.) nous avons identifié certaines caractéristiques qui lui sont propres:
1-Borillo, M. et Goulette, J.P. (ed.) (2002) Cognition et création; explorations cognitives des processus de conception, Mardaga, Sprimont.
2- Simon, H. (1969) The sciences of the artificial, The Mit Press, Cambridge, MA
3- Johns, J.C. (1981, 1992 2) Design methods, Van Nostrand Reinhold, New York
2.1 Matérialité
En partant directement de la définition de J.C. Jones on identifie la première caractéristique importante de la conception en architecture et ingénierie: son objectif est la conception et le projet d’un ou plusieurs objets physiques (artefacts) à réaliser matériellement, grâce à une certaine technologie. Par rapport à la conception artistique, qui implique aussi une réalisation technologique et matérielle, l’échelle des œuvres de l’architecture pose des problèmes mécaniques et physiques/technologies très spécifiques et qui revêtent un rôle déterminant dans le processus de conception. On a pleine conscience de l’existence de tout un courant critique qui voit l’aspect matériel de l’architecture comme non déterminant, en considérant le projet réalisé comme une des multiples formes possibles de celui-ci, qui n’a pas plus de «réalité» que, par exemple, sa représentation sous la forme de dessin ou de maquette.
2. 2 Besoins et contraintes
Un processus de conception en architecture est enclenché en réaction à un état de nécessité, afin de satisfaire des besoins aussi bien physiques que spirituels (dont l’esthétique, par exemple) et donc avec des requêtes fonctionnelles bien définies, ce qui introduit un ensemble très puissant de contraintes.
Cette caractéristique le différencie, par exemple, des processus de conception dans les beaux-arts, qui naissent essentiellement pour exprimer une certaine idée ou sentiment ou émotion de la part de l’artiste : les objets d’art «pur» (en opposition aux arts appliqués) sont dépourvus par définition de toute fonctionnalité. On peut considérer la conception architecturale comme une forme d’art appliqué qui s’intéresse spécifiquement aux objets à grande échelle. Il s’agit évidemment d’un processus de conception créative, mais en raison de la présence déterminante des nécessités à satisfaire et des contraintes à respecter, dans le processus de conception en architecture l’équilibre entre les opérations «imaginatives» et les opérations «actualisatrices» est très spécifique. Tous les processus créatifs sont évidemment soumis à des contraintes, mais la part que ces contraintes occupent dans la conception architecturale est plus importante que dans la conception purement « artistique ».
En parlant d’une différence entre imagination et actualisation nous voulons simplement souligner l’importance des facteurs contraignants dans la conception en architecture et ingénierie, mais nous sommes totalement conscients de l’ambiguïté de cette distinction, car on sait très bien que les situations où on a le plus de contraintes, ce qui nécessiteraient le plus de logique, sont au contraire celles qui requièrent le plus d’imagination. Dans ce cas, l’imagination devient créativité, car elle concerne, comme le dit le terme même, la possibilité de créer ce qu’on a imaginé: la création suppose un passage à l’action qui n’existe pas dans la pure imagination.
2. 3 Qualités formelles et spatiales
Le processus de conception en architecture concerne essentiellement des qualités formelles. Il s’agit de l’élaboration d’une certaine forme (à être réalisée matériellement) qui doit répondre à l’ensemble des besoins et des contraintes : «le but ultime du design est la forme»5
La définition du terme forme n’est pas univoque: nous appellerons forme la position et l’apparence des propriétés matérielles des objets ; dans ce même sens nous utiliserons aussi le synonyme de morphologie. La morphologie est parfois appelé aussi configuration spatiale ;
5-Alexander, C. (1964) Notes on the synthesis of the form, Harvard University Press, Cambridge, MA
nous utiliserons aussi ce terme, surtout en relations aux agencements d’éléments dans l’espace. Le terme spatiale introduit la notion de tridimensionnalité et il fait référence à une qualité fondamentale : le véritable centre d’intérêt de la conception architecturale ne sont pas les formes en eux-mêmes mais l’espace qui se trouve entre elles. La conception sculpturale, par exemple, s’occupe elle aussi de formes tridimensionnelles, mais moins de l’espace qui est autour ou parmi ces formes, qui est la donnée déterminante en architecture. Cependant, l’utilisation du terme espace dans le milieu architectural est très récent, il n’a en fait commencé que aux années 20 avec le Mouvement Moderne. Il s’est ensuite généralisé autour des années 40 lorsque la locution «arts de l’espace» a remplacé, sans s’y substituer, la locution «arts du dessin» consacrée par Vasari.
La suite du cours se répartit suivant les notions suivantes: idée, perception, usage, système, discours. En effet, ces cinq notions distinguent des catégories, explicites ou non, auxquelles la diversité du vocabulaire utilisé pour rendre compte de l'architecture ou de la conception architecturale.
Peter Collins (1965) étudie bien les ensemble d'idées que constituent les idéaux de l'architecture moderne, tandis que Laugier (1753) fait de la cabane primitive une idée qui préside à la conception même de l'architecture.
Pour en savoir plus :
- Collins P., Changing ideals in modern architecture, Londres, Faber, 1965.
- Ruskin J., Les sept lampes de l'architecture, 1848.
3. L’IDEE
3.1 IDEE ET CREATION
La notion d'idée est au cœur de la réflexion sur la création artistique depuis l'antiquité, On sait la place qu'occupe l'idée dans la théorie platonicienne, où elle est synonyme d'essence, L'idée soulève alors le problème du rapport entre l'esprit et la réalité sensible, entre la connaissance intelligible et la connaissance sensible. Du point de vue métaphysique, l'idée permet de penser la création artistique en tant que mode de connaissance. On peut ainsi distinguer deux modalités de création: l'imitation qui reproduit ce qui est vu, el l'imagination qui (re)produit ce qui n'est pas vu.
Mais, l'idée n'est pas demeurée dans la sphère de la métaphysique et, ramenée au rang de concept, elle a pris des acceptions diverses au cours de l'histoire. Et c'est le problème de la création, de l’inspiration, du rapport au visible que ce concept permet de penser.
Un des thèmes fondamentaux concernant le rapport de l'idée à l'œuvre est celui de son rôle: génère-t-elle l'œuvre - ce à partir de quoi travaille tout concepteur, ou est-elle générée par ce travail même?
Au-delà, la notion d'idée a permis de conceptualiser, au sens philosophique du terme, la dimension intellectuelle qui sous-tend toute création. Cette conceptualisation est tributaire de l'état des savoirs philosophiques, théologiques, el de la conscience même de la pratique artistique.
Notes:
1) La permanence de débats dans l'histoire sur le concept d'idée souligne les implications culturelles et idéologiques de toute production artistique. La présence de cette notion dans les discours des architectes révèle J'inscription de l'architecture dans le champ de la création culturelle. Les écrits d'un L. Kahn sont sur ces points éloquents. L'activité de projet y est présentée comme une activité qui engage pleinement le sujet, et qui s'inscrit fondamentalement dans une culture, voire une éthique.
2) On sait que la notion d'idée est fortement attachée à celles de matière, de génie, de modèle naturel et de modèle spirituel, d'expérience et d'image intérieure, de sujet et de projet ou encore de celle d'idéal dans la théorie néoclassique, dépassant les oppositions philosophiques sujet/objet, esprit/nature.
Par une telle multiplication de valeurs sémantiques et de connotations, la notion d'idée fait prendre conscience que l'architecture ne se réduit pas aux objets construits, mais qu'elle est aussi un travail dans la culture qui se nourrit de modèles, de répétition mais aussi d'invention, permettant alors transformations et innovations.
3.2 GLOBALITE DE L'IDEE
L'idée peut donc procéder soit d'un choix, d'une intention a priori, soit, dérivant du travail en cours, d'une intention révélée a posteriori. C'est aussi parfois un moyen de prendre en compte l'objet dans sa totalité et son achèvement, d'une manière globale et imprécise à la fois. Les architectes parlent de parti architectural lorsque l'idée a pour fonction de représenter de façon synthétique l'objet visé, mais une telle représentation qu'elle soit discursive ou graphique ne rend pas compte du travail d'élaboration de l'œuvre concernée: elle permet plutôt son évolution. Idée et réalisation de l'idée - quel que soit l'ordre de leur succession, ne sont pas de même nature. Il importe de comprendre que l'architecte effectue un travail qui peut d'autant moins se réduire aux seules représentations graphiques qu'il comporte une part intellectuelle fondée sur cette pluralité de sens donnée à la notion d'idée. La variété de termes utilisés pour rendre compte de cette pluralité ("type", "schème", "parti", "concept", etc... ) renvoie à des évolutions de discours sur l'architecture comme à des valeurs différentes dans le processus de conception. Ainsi, dans le jeu entre travail de représentation et travail intellectuel, les types, modèles formels et généraux, sont tous des idées mais les idées ne sont pas toutes des types.
EXEMPLE :
Le texte des lauréats du concours BMW 87 montre qu'un projet est une pluralité d'idées de nature différente, qui organisent les différentes parties du bâtiment et leurs caractéristiques. On voit comment les architectes ont élaboré ces idées en rapport avec l'automobile:
"Où situer le rapport entre une production architecturale et une production automobile?
Au niveau de la forme?
du mode de production?
du mode de conception ?
L'ensemble de notre démarche repose sur l'idée de répétition:
Répétition dans la forme
Le bloc diagnostic (demandé par le programme), produit de l'industrie, est performant et fiable, efficace et précis ; il participe à la qualité de l'image de marque. Notre bâtiment ne se réfère pas au high-tech qui expose ses assemblages mais à la technologie automobile qui carosse ses organes.
Répétition dans la production
Quelle que soit la concession (demandée par le programme), le bloc diagnostic est définitif tant dans son dessin que dans sa fabrication.
Les unités de travail, modulables en fonction de l'importance du programme, sont mises en œuvre localement selon un modèle prédéfini.
Par contre, la conception du hall est spécifique à chaque lieu, et permet l'adaptation au site. Le bâtiment fait appel à des modes de production adaptés à chaque concession.
Répétition dans la conception
A l'image de l'automobile, notre bâtiment est issu de technologies, de savoir-faire différents ; il assemble des matériaux qui ont des degrés de définition variables, et engendre des relations d'influences réciproques entre les parties et le tout.
Ainsi, l'image de marque de cette nouvelle firme résulte pour nous du mode de conception qui joue tout à la fois sur l'OPTION ET LA SERIE".
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